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ier l'originalité des cultures à l'heure de la mondialisation serait une absurdité même si communément les observateurs considèrent que la société actuelle tend à uniformiser les cultures. Il est vrai que les moyens modernes de communication et les déplacements facilitent les échanges et les rencontres et rendent les peuples un peu moins étrangers les uns aux autres.

Pour l'Occidental, le Japon est un pays complexe, marqué d'ambiguïtés et de paradoxes, voire de contradictions par ses aspects où se mêlent modernité et tradition.

Les Japonais et les Français apparaissent donc encore largement éloignés. Entre eux subsiste une grande part d’étrangeté culturelle. Comment s’en étonner puisque la France et le Japon sont tous les deux aux extrêmes limites du continent eurasien. Cette distance physique symbolise en raccourci tout ce qui peut éloigner Français et Japonais.


Parmi les facteurs qui peuvent expliquer cette distance culturelle, il semble que les contraintes naturelles, la religion et l’écriture aient une forte influence.

 

 


 

fuji san

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l n'est pas possible d'évoquer le Japon sans rappeler que la nature et plus généralement les contraintes naturelles ont un fort pouvoir de différenciation entre nos deux pays et au-delà entre nos deux peuples. C'est également un facteur fortement discriminant par rapport à d'autres pays d'Extrême-Orient.

 

La France est un pays favorisé par une nature variée, paisible et féconde. Les divers types de relief et des climats, toujours modérés, permettent aux activités humaines de prospérer presque partout, qu’il s’agisse de productions agricoles ou d’implantations humaines. A cela s’ajoute un environnement favorable, tant maritime que continental faisant de la France un pays charnière au sein de l’Europe et du monde occidental.

 

Tout à l’opposé, la grande originalité japonaise, c’est de vivre dans la nécessité de toujours devoir faire face à une nature ingrate et parcimonieuse. Le Japon bien plus peuplé que la France, ne dispose que d'un territoire bien plus restreint, limité par les montagnes et la mer, avec un sous-sol pauvre, territoire constitué d'un archipel de milliers d'îles offrant peu de ressources agricoles.

Le plus contraignant cependant, c’est la violence des éléments naturels. En effet, le Japon repose sur un sol instable : la terre y tremble très souvent. Cela explique sans doute le fatalisme de la population et sa conscience de l’éphémère. Comment croire à la permanence des choses sur un sol agité par un millier de tremblements chaque année (le Japon se situe à la jonction de 4 plaques tectoniques) ? Les séismes entraînent aussi des raz-de-marée destructeurs qui balaient les côtes (tsunami).

Le climat aussi s’en mêle. Les typhons sont choses courantes au Japon, tout autant attendus que redoutés car ils apportent l’eau nécessaire aux cultures.

Ces conditions naturelles induisent une dualité des Japonais envers la nature. Effectivement, les éléments possèdent une force trop démesurée pour que le peuple japonais puisse les combattre, il ne peut que les subir humblement. Il voue un culte à la nature qu’il faut respecter et craindre, ce qui a conduit les Japonais à chercher à se concilier (divinisation dans le shintô) ou à apprivoiser (art des jardin et art floral) ces forces. Ceci contribue à la survivance d’un animisme exprimé dans le shintoïsme.

 

Pour les Occidentaux, il est donc difficile de comprendre cet état d’esprit, eux-mêmes n’étant pas confrontés à tous ces problèmes. Certes des événements climatiques désastreux comme ceux que la France connaît à la charnière du millénaire conduisent à plus d’humilité et à une perception du sentiment de précarité commun chez les Japonais.

 

 

torii de miyajima

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éritiers de religions et philosophies différentes, Français et Japonais en subissent donc l'influence dans leurs modes de vie et dans leur culture.

 

La culture française doit beaucoup au judéo-christianisme. Les pratiques païennes primitives, de type animiste, y ont été largement effacées à la faveur de la romanisation. Celle-ci est ensuite devenue la vecteur du christianisme qui s’est imposé comme unique modèle religieux. Religion monothéiste avec un dieu immanent qui offre l’éternité aux justes au terme d’une quête individuelle du salut.

Bien sûr ce substrat religieux a subi quelques avatars au fil du temps, notamment avec la Réforme ou plus récemment avec l’arrivée de l’Islam à la faveur de l’immigration et la montée de l’athéisme. Cependant, au-delà de la réalité des pratiques ou des non pratiques religieuses, le christianisme influe toujours sur la morale et sur l’organisation sociale, même dans un état laïc. La primauté de l’individu en est ici un trait dominant.

 

Une boutade dit que “le Japonais naît shintô, réfléchit confucianiste et meurt bouddhiste”. Une des caractéristiques des Japonais est d’assimiler rapidement tout apport étranger jugé enrichissant. Il en est ainsi des religions. Ainsi, aux croyances originelles, se sont ajoutées des influences religieuses extérieures.

L'influence considérable du milieu naturel s'est fortement traduite dans une divinisation des éléments naturels donnant naissance au shintoïsme, religion fondamentale du Japon. Cette croyance animiste, elle est à la base de nombreuses structures, de la famille à la vie sociale. Sa permanence est due en partie à sa capacité à coexister heureusement avec d’autres religions. L’Empereur était le garant du shintô d’Etat.

Le confucianisme, arrivé de Chine dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, plutôt qu’une religion, constitue une philosophie sociale cherchant à expliquer des choses. C’est un système de pensée tourné vers la connaissance. Au Japon, la doctrine confucianiste influe sur l’ordre social.

Le bouddhisme originaire de l'Inde a pénétré au Japon au 5ème siècle venant de Chine et de Corée. Il s'agissait alors du second courant du bouddhisme, le Mahayana ou "Grand Véhicule", un bouddhisme de la compassion qui fai intervenir des médiateurs, "les Bodhisattvas" (sortes de "saints"), objets d'une grande vénération.
Mais un grand renouveau du bouddhisme japonais s'est produit au travers du bouddhisme zen vers le 12ème siècle, sous l’influence de Japonais qui avaient étudié en Chine. Le zen permet aux Japonais d’atteindre l’objectif bouddhiste qui consiste à voir le monde tel qu’il est, avec un esprit exempt de toute pensée ou de tout sentiment, c’est-à-dire le parfait abandon de ses désirs et de l’“illusion du moi”. En outre, pour le bouddhiste, les choses n’existent que si elles sont mises en relation, il faut éviter les extrêmes, renier ses désirs qui provoquent la souffrance. Le bouddhisme crée ainsi une morale qui influence encore considérablement les pratique et la pensée des Japonais.

Les moines zens ont aussi inspiré les modèles culturels japonais : la cérémonie du thé et le théâtre . Le zen transforme l’esthétique dans le domaine des beaux-arts : la peinture à l’encre, la calligraphie,la céramique, l’architecture, l’art des jardins, l’arrangement des fleurs, l’art de la laque, le travail des bambous et des métaux. Le sens japonais de la beauté est une force d’identification avec le tout.
Ce mélange d'influences religieuses fait que le Japon est une parfaite illustration du syncrétisme présent dans de nombreux pays de cultures non européennes.

 

Même si Français et Japonais sont aujourd’hui baignés dans une civilisation matérialiste qui va de pair avec le recul du sens religieux, leurs cultures et modes de vie restent pour une grande part marqués par leurs modèles religieux respectifs.

 

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kanjis de NIHON

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n ne peut pas oublier enfin que pour beaucoup d'Occidentaux, l'image associée au Japon, c'est son écriture (élément essentiel d'une culture) vulgarisée grâce aux produits manufacturés japonais, écriture qui, à la fois, séduit l’étranger par sa sophistication et lui apparaît bien énigmatique.

Certes, cette écriture n’est pas totalement originale puisque c’est au Vème siècle que les Japonais adoptèrent les savants idéogrammes chinois porteurs d’un sens global. Il existe près de 50 000 kanji dont près de 2 000 sont d’usage courant. L’étude en est très difficile imposant une grande discipline d'apprentissage et une mémoire sans faille pour maîtriser des milliers de signes (et souvent leur double lecture: japonaise et sino-japonaise). La calligraphie associée à cette écriture complexe est un véritable art pictural : commander à la main le dessin voulu par l’esprit, sans que l’encre déborde, tenir le pinceau bien droit, tout cela relève de la virtuosité. Outre cette écriture en kanji, la langue japonaise a enrichi son expression par la création des hiragana et katakana, écritures syllabaires plus simples (2 jeux de 46 signes).

 

Contrairement donc aux Japonais qui s’exercent à discerner le sens instantanément, les Français ont une vision beaucoup plus analytique des choses en utilisant seulement 26 lettres qu’ils combinent pour former des syllabes, celles-ci formant à leur tour un mot mais cela reste plus abstrait qu’un dessin. La compréhension du mot empêche l’immédiateté de perception. Cette façon d’exprimer et de communiquer le savoir va de pair avec la primauté de la raison par rapport à l’action. Dans les arts cela se traduit aussi par certaines surcharges et lourdeurs que l’on peut opposer à l’expression quintessente des arts nippons.

Utilisant un alphabet d’origine latine, comme tous les pays de cultures occidentales, notre écriture présente cependant l’avantage d’être d’un apprentissage aisé pour les enfants et d’être un support commode pour la diffusion de masse, qu’il s’agisse de l’imprimerie ou de l’informatique.

 

Ces systèmes d’écriture différents, les conditions de leur apprentissage influent beaucoup sur la formation de l’esprit et les structures mentales (mémoire et jusqu'à la sollicitation différente des hémisphères cérébraux) des deux peuples et contribuent à leurs différences.

 


 

 

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aturellement, il apparaît qu'entre Français et Japonais, les différences s’imposent davantage que les similitudes. Des éléments fondamentaux telles que les conditions naturelles, les croyances ou l’écriture contribuent sinon à les opposer, du moins à rendre difficile leur compréhension réciproque. Même si une forme de culture universelle, consumériste et matérialiste, semble toucher les deux peuples, de grandes différences subsistent parfois même au-delà des apparences.
Alors que les Français revendiquent fièrement l’universalité de leur culture tout en restant orgueilleusement perchés au sommet de leur clocher (la fameuse "arrogance française !"), en toute humilité, les Japonais que l’on considère souvent comme des conservateurs isolationnistes se lancent facilement à la découverte des autres contrées avec une avidité d’apprendre qui n'est pas nouvelle (apports anciens venus de Chine et de Corée).

Que l’on veuille enrichir sa culture personnelle ou que l’on soit manager désirant développer des contacts commerciaux, il faut donc conduire une patiente démarche de reconnaissance mutuelle sinon l’on risque de porter des jugements hâtifs, nuisibles à la qualité des relations. Et cette découverte doit passer par l’expérience, au travers d’échanges concrets.

 

"Culturellement,Français et Japonais
apparaissent donc bien différents."


 

Dossier réalisé en 2000 par Armel ROUAULT, lycéenne à Rennes (classe de 1ère au Lycée Assomption ),

kanji de Kyôto

kiyomizudera kinkaku-ji

Depuis octobre 2002, l'auteure est étudiante à PARIS
en langue et civilisation japonaises à Langues'O

(INALCO - Institut National des Langues et Civilisations Orientales)
et y aborde l'étude du chinois après avoir suivi 2 années au C.P.E.I.
(Centre de Préparation aux Echanges Internationaux : droit, économie, marketing...)
.

En octobre 2004, elle s'est engagée dans un master de Français Langue Etrangère à l'université de la Sorbonne (Paris IV).

Pour aller plus loin dans la découverte du Japon :

Josée, Raymond et leurs "Figurations intérieures"